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Gilbert FILHET

seigneur de la Curée et de la Roche Turpin.
Chevalier du Saint Esprit.

 


Aout 1591. Le siège de Noyon.

Gilbert de la Curée, capitaine des chevau-légers du roi, durant le siège de Noyon, en aout 1591, se présenta devant le roi Henri IV à son quartier. Sa majesté lui commanda d’aller à la découverte vers Roye (1), où il avait été averti qu’il était arrivé force gens de guerre. (2)

La Curée revint à son quartier, qui n’était qu’à une lieu de Noyon, et il se prépara à partir le soir sur les neufs heures. Il était à six lieues de distance de Roye, et comme il voulait se trouver à la pointe du jour devant la porte de la ville ennemie, il fit avertir tous ses compagnons de se tenir prêts. Au premier coup de trompette qu’on sonnerait au guet, ils devaient se rendre avec leurs meilleurs chevaux et leurs armes dans une grande place au bout de laquelle était établi le logis du capitaine.

Le quartier de la Curée était à l’extrême avant-garde, qu’il était séparé du corps de l’armée par un ruisseau difficile à passer, qui empêchait qu’on eut pu le secourir aisément, et comme il n’avait avec lui que cent vingt maîtres et une compagnie d’arquebusiers à cheval, il faisait monter la garde très exactement, la plaçait et la relevait lui-même. Quand l’heure fut venue de poser la garde, la Curée y alla donc, et dit à ceux qu’il conduisait qu’ils eussent à prendre leurs seconds chevaux, parce qu’il les enverrait chercher à temps pour qu’ils eussent le loisir de changer de bêtes.

Il se trouva que les ennemis avaient résolu de venir cette nuit-là même attaquer le quartier de la Curée, qu’ils savaient pouvoir être difficilement secouru. Ils avaient pris le régiment d’un gentilhomme nommé Gribeauval et deux cents chevaux, et partirent de bonne heure. Ils arrivèrent à une demi-lieue de ce quartier de la Curée justement au même temps qu’il envoyait chercher sa garde pour venir prendre les seconds chevaux, si bien que les ennemis, suivant cette garde, vinrent dans les gaies dudit quartier sans être aperçus.

Les soldats qui avaient été en garde ne tardèrent pas à venir rejoindre leurs compagnons et le capitaine dans la place que nous avons indiquée devant le logis du chef. On se préparait à partir. Mais quelques valets qui n’étaient hors des tentes avaient entrevu ces ennemis qui venaient droit sur cette place. L’un accourut avertir la Curée ajoutant qu’il y avait plus de cinq cents mèches d’arquebuse allumées qui s’en venaient par le grand chemin. La Curée se moqua de lui et lui dit que c’étaient des vers luisants.

Toutefois, il s’avança dans cette direction et sans être vu, car la nuit était très-obscure. Il trouva que le valet avait dit vrai, et que le chemin était plein de mèches. Il revint vers ses compagnons et leur dit : Messieurs, pour cette fois nous n’irons pas plus loin pour trouver l’ennemi. A moi ! Abattons leurs casques !

Il appela ses trompettes, dont il aimait à avoir un grand nombre ; quatre vinrent à cheval se ranger près de lui. Il marcha droit vers le grand chemin, et quand il fut à cinq pas des ennemis, il cria : Sonnez la charge.

Et il se précipita, suivi de ses compagnons, au milieu des ennemis, lesquels étonnés de cette rencontre, tirèrent leurs coups d’arquebuse. La Curée leur ayant passé sur le ventre, s’arrêta à deux cents pas plus loin, dans un carrefour que formait ce chemin. Il se retourna, il ne vit plus rien. Ni mèches ! ni ennemis ! ni bruit ! Il commença par demander qui manquait parmi les siens, et vit qu’il n’avait qu’un tué et trois blessés.

La Curée était bien embarrassé de savoir ce qu’il avait à faire, et ne pouvait imaginer ce qu’étaient devenus ses adversaires. Il entendit dans une autre direction trois ou quatre trompettes ennemis sonner à l’étendard. Il envoya par là voir ce que cela signifiait et attendit. On revint bientôt lui dire que c’était une compagnie de gens de pied qui avaient suivi un autre chemin, celui de Noyon ; qui s’étaient arrêtés en entendant les trompettes de la Curée et qui avaient envoyé à la découverte dix ou douze chevaux qu’ils avaient. Ceux-ci s’étaient approchés de nous, et entendant nos voix, étaient retournés dire que nous étions victorieux, si bien que cette compagnie de gens de pied se mettait en retraite. La Curée se résolut de les suivre et d’aller leur couper le chemin au passage d’un ruisseau qu’ils devaient nécessairement traverser, mais il n’arriva pas à temps ; ils étaient déjà passés quand il y parvint.

On était au milieu de l’été, les nuits ne sont pas longues en cette saison, si bien que l’on ne tarda pas à se voir. Les ennemis se retiraient toujours en diligence. Enfin le jour devint tout grand. On arriva dans une plaine, et la Curée constata qu’une partie avait pris un autre chemin, car ils n’étaient plus que cent, et la première fois qu’il les avait entrevus, ils étaient au moins le double. Il eut voulu au moins rejoindre ceux-ci, mais il les voyait toujours fuyant dans cette plaine. Il était désespéré. Enfin ils obliquèrent à droite vers un grand village qui avait été fortifié et qui avait encore de bonnes barrières.

La Curée supposa qu’ils avaient laissé là du monde pour favoriser leur retraite. Il appela son lieutenant, Labinardière, très brave cavalier, et lui dit : Mon compagnon, nous connaissons bien ce village pour y êtres venus souvent à la découverte, car il n’est qu’à une lieue de Roye. Prenez donc la moitié de nos hommes, allez droit dessus ; ouvrez bien l’œil ; s’il y a des fantassins, faites mettre pied à terre à vos arquebusiers. Moi je m’en vais gagner l’autre côté pour attraper les fuyards. Si je ne les trouve, je serai aussitôt que vous à la barrière du village.

La Curée se coula le long d’un petit vallon de mille ou douze cents pas de longueur. Il arriva ainsi jusqu’au village, et là il apprit qu’une partie des ennemis avait passé outre et que l’autre y était restée. Il les vit, en effet, à pied, derrière la barrière qu’ils avaient fermée. Il s’avança, et ceux-ci, se trouvant pris entre deux feux, car Ladinardière arrivait de l’autre côté et avait fait descendre ses arquebusiers montés, se retirèrent dans les plus proches maisons. Ils étaient vingt cinq ou trente et ne tardèrent pas à se rendre.

Après quoi la Curée regagna son quartier, dont il s’était éloigné de quatre lieues. Arrivé à la porte de son logis, il dit à ses compagnons qu’ils allassent mener chez eux leurs chevaux et qu’ils revinssent diner avec lui. Il entra donc seul dans la cour du logis. Elle était pleine de soldats ennemis, l’épée au côté. Il trouva cela étrange. Il leur demanda ce qu’ils faisaient là. Ils lui répondirent, le chapeau à la main, qu’ils étaient prisonniers. Il commanda à ces gens, qui sortaient de la maison pour venir à lui, de les désarmer, ce qu’ils firent. Quelques uns de ces prisonniers appartenaient aux valets de la Curée, d’autres aux domestiques de ceux de ses compagnons logés le plus près de lui. Chacun de ces valets emmena les siens.

Pendant cela, le bruit avait couru au quartier royal que la Curée avait défait un régiment et pris trois cent hommes. On l’avait annoncé au roi, qui dit : Il est bien étrange que la Curée ne m’en ait rien mandé. Je m’en vais à la chasse, passons par son quartier.

La Curée ne faisait que mettre pied à terre quand il apprit l’arrivée du Roi. Il sortit brusquement. Sa Majesté entrait dans cette place que nous avons signalée en face du logis. Eh quoi ! Curée, dit le roi, vous avez défait la moitié de l’armée ennemie, et vous êtes si glorieux que vous ne nous en avez rien mandé.

La Curée répondit qu’il en apprenait les nouvelles à l’instant même. Et après avoir rendu compte de tout ce qu’il avait fait la nuit et le matin, il appela l’un des siens pour qu’il racontât au roi ce qui s’était passé au quartier en son absence.

Mais il faut quelques réflexions préliminaires.

Chacun sait que, dans les guerres civiles, on a peu d’argent, de façon que les soldats n’ayant que ce qu’ils gagnent à la pointe de l’épée, l’on souffre d’eux ce que l’on ne souffrirait pas s’ils étaient biens payés. La Curée, qui avait les plus braves soldats du monde, leur permettait quelques libertés. Entre autres choses, il avait, bien qu’à regret, permis à quatre vieux cavaliers qui étaient venus le trouver de Flandre, de garder chacun une vivandière(3), comme c’est l’usage en ce pays là.

De ces quatre, il y en avait trois belles. La quatrième était de belle taille ; elle portait les cheveux coupés et l’habillement comme un homme. Les trois premières revêtaient des habits masculins pour monter à cheval, mais au quartier elles étaient parées comme des dames. La dernière, cette tondue, se nommait la Gasconne, car elle était de Gascogne. Elle était des plus courageuse et quand son mari était malade, elle prenait ses armes, son bon cheval et allait en sa place au combat. Quand on venait au partage du butin, la Curée, qui l’avait vue bien faire, demandait aux compagnons de lui donner une part, ce qu’ils faisaient volontiers. Son courage lui avait valu le nom de capitaine, et toute l’armée , le roi même, ne l’appelait jamis que le capitaine Gascon.

Le roi voulant savoir comment les choses s’étaient passées, on fit venir le plus apparent de ceux des gens de la Curée qui étaient restés au logis, et voici ce qu’il dit : Sire, après que monsieur eut chargé les ennemis, nous fermâmes la porte du logis. Une heure après, le capitaine Gascon, qui étant blessé, n’avait pu monter à cheval, vint frapper à la porte. Il était accompagné des valets qui accompagnaient Monsieur. Ils voulaient, sur le conseil du capitaine Gascon, que nous allassions visiter le champ de bataille. Nous sortîmes avec eux et mettant l’épée à la main, tandis que de l’autre bras nous portions un brandon de paille allumé, nous allâmes sur le grand chemin. Nous le trouvâmes tout couvert d’arquebuses et de piques. Nous fouillâmes les haies et les fossés ; nous y avons trouvé tous les soldats ennemis cachés. Nous en avons pris deux cents que nous avons traités selon les lois de la guerre, car, ayant reçu leur parole, nous leur avons laissé leurs épées jusqu’à ce que mon maître, en arrivant, nous les fit désarmer.

Le roi demanda alors en riant à cet homme :

  • N’y a-t-il pas de capitaines parmi ces prisonniers ?
  • Oui, sire, il y en a trois, répondit-il.
  • Et qui les tient ?
  • Sire, dit le valet, le capitaine Gascon a le premier, Barbe en a un autre, et le troisième appartient au valet du mari de Barbe.

Cette Barbe était la plus belle de ces vivandières, et tout habillée en femme, elle avit pris ce capitaine. Le roi commanda qu’on envoyât chercher les officiers prisonniers, et outre ces trois capitaines, il y avait trois lieutenants, deux enseignes et quelques sergents ou caporaux. Ils furent tous amenés au roi. Le premier qui parut fut celui du Capitaine Gascon, qui l’escortait. Elle avait le bras en écharpe et au côté une bonne épée qu’elle portait fort bien. Le roi en la voyant lui dit : Eh bien capitaine Gascon, vous avez été à la guerre sans sortir du quartier. Il est vrai, sire, dit-elle. Mais si je n’eusse été blessée, je n’aurais pas abandonné mon capitaine la Curée.

Le roi se prit à rire, et voyant le prisonnier de ce capitaine Gascon avec de grands cheveux frisés, une moustache relevée et bien vêtu, il lui demanda force nouvelles A quoi il répondit pertinemment.

Enfin, après avoir demandé la collation à la Curée , le roi prit son vin pour s’en aller et dit : Curée, fais rendre les épées aux soldats et qu’ils prêtent serment de ne porter les armes avant un an, sinon pour mon service, sous peine d’être pendu et étranglés. Donne leur congé. Les capitaines paieront rançon.

Sur ces entrefaites, le prisonnier du capitaine Gascon, baisant les mains du roi, lui dit : Sire, en mon malheur, j’ai une bonne fortune qui est que tous mes compagnons ont été pris par des femmes ou par des valets. Pour moi, Dieu m’a accordé la grâce de tomber entre les mains du capitaine Gascon, dont tout le monde et votre majesté même fait le plus grand cas. Oui vraiment, dit le roi en souriant, après avoir fait un signe à la Curée, ce vous est bien de l’honneur.

La Curée s’approcha du capitaine Gascon et lui dit : Vous êtes fort beau avec votre écharpe. Et retirant brusquement cette écharpe du cou, il montra que ce capitaine était une femme, de sorte que ce pauvre prisonnier devint si honteux qu’il ne trouva mot à dire. Le roi en rit grandement et depuis a raconté cette histoire plus de cent fois.

Noyon tomba entre les mains d’Henri le 17 aout 1791.

1- ROYE dans le département de la Somme à 20 kilomètres au Nord Ouest de Noyon en direction d’Amiens.
2- Héricault, Ch. - Moland, L. La France guerrière. Henri IV-République récits historiques. 1885.
3- Personne autorisée à suivre l'armée pour vendre aux troupes des vivres et des boissons, en dehors de l'ordinaire, ainsi que des objets de première nécessité.


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